4.12.13

Tachycardie paroxystique ou “maladie de Bouveret” chez le sportif

Les tachycardies paroxystiques peuvent être d'origines différentes. Il convient d'en connaître les principales formes et manifestations et de pouvoir élaborer un bilan clinique complet, afin de poser un diagnostic étiologique précis et de proposer un traitement adapté.
Lors du Tour de France 2002, un sprinter australien a été "exclu" de la participation à un sprint d'étape à cause d'une "tachycardie de Bouveret". L'observation de ces tachycardies chez les sportifs n'est pas rare et leur diagnostic est important, car il est possible aujourd'hui de proposer, dans bien des cas, un traitement radical avec reprise au décours de la compétition de haut niveau.
La description initiale de la maladie par Léon Bouveret était clinique, car en 1889 l'électrocardiogramme n'existait pas !
En fait, dans sa description princeps de "tachycardie paroxystique essentielle", ce remarquable clinicien lyonnais regroupait différents types d'arythmies dont le démantèlement a bénéficié de l'apport de l'électrophysiologie.

LE RYTHME CARDIAQUE


Un savant dosage entre accélérateur et frein, modifié par l'exercice musculaire. Quelques rappels physiologiques sont indispensables pour comprendre le mécanisme de ces tachycardies et le rôle
éventuellement favorisant du sport intensif dans leur déclenchement.
Le coeur est un organe automatique innervé uniquement par le système nerveux autonome. Celui-ci présente 2 branches, parasympathique (le frein) et sympathique (l'accélérateur),qui adaptent et modifient en permanence les caractéristiques électrophysiologiques des cellules cardiaques.
Les premières cellules à se dépolariser automatiquement sont les cellules automatiques du noeud sinusal,zone anatomique située dans l'oreillette droite près du sinus coronaire. Cette dépolarisation
se transmet progressivement aux ventricules en empruntant normalement une voie de conduction auriculoventriculaire privilégiée. Il existe heureusement dans le coeur des systèmes de sécurité qui vont limiter les risques d'emballement de la fréquence cardiaque. Ainsi, après chaque dépolarisation, la cellule présente une période réfractaire au cours de laquelle elle n'est plus excitable, ce qui explique que le
myocarde, qui est un muscle strié, soit intétanisable.
A l'exercice, il est normal que la fréquence cardiaque s'accélère sous l'action conjointe du tonus sympathique et des catécholamines circulantes. Cependant, cette tachycardie doit rester sinusale (une onde P visible devant chaque complexe QRS), dans des limites chiffrées "acceptables" (un bon repère reste l'imparfaite formule : 220 - âge ± 10 battements) et surtout parfaitement tolérée sur le plan clinique.
La tachycardie sinusale débute et s'arrête progressivement et est en règle adaptée au niveau d'activité physique du sujet.

TACHYCARDIES INAPPROPRIÉES


Un bilan cardiologique s'impose !
Les tachycardies essentielles paroxystiques sont des tachycardies supraventriculaires ou ventriculaires qui surviennent sur des coeurs a priori "sains". La survenue d'une arythmie cardiaque réclame plusieurs facteurs favorisants, l'existence d'un foyer arythmogène,un facteur déclenchant et un environnement pérennisant son développement.
Les modifications du système nerveux autonome,du niveau de catécholamines circulantes et électrolytiques induites par l'exercice musculaire sont autant de facteurs pouvant favoriser la survenue et le développement de l'arythmie.
Par définition, lors d'une tachycardie le coeur est rapide mais régulier. Cependant, il est essentiel de distinguer les tachycardies supraventriculaires des tachycardies ventriculaires, vu leur pronostic bien différent.
C'est pourquoi,devant la description de palpitations ou "d'emballement" cardiaque parfois chiffré par un cardiofréquencemètre, il est indispensable de chercher à préciser le mécanisme en cause.Le bilan étiologique reposera sur les données de l'interrogatoire, l'électrocardiogramme de base (ECG),l'échocardiogramme, la réalisation d'une épreuve d'effort et souvent la réalisation d'un enregistrement Holter du rythme cardiaque en "conditions"d'entraînement ou de compétition.
De façon non rare, ce n'est que l'exploration électrophysiologique à visée diagnostique qui sera contributive.

Tachycardies ventriculaires


Elles sont caractérisées par des complexes déformés,élargis et non précédés d'ondes P ou avec des ondes P dissociées des complexes ventriculaires (Fig. 1).
Le foyer arythmogène n'est pas toujours individualisable.L'ECG de repos est normal, la tachycardie est déclenchée par une extrasystole ventriculaire dont la survenue peut être favorisée par l'effort.

Tachycardies supraventriculaires


Ici le foyer arythmique est représenté par une double voie de conduction,une principale et une accessoire, entre le foyer initial de dépolarisation et le ventricule (Fig. 2 et 3), le facteur déclenchant est une extrasystole (nous en avons tous) et le système nerveux autonome est le facteur pérennisant principal.
Les 2 voies de conduction co-existent avec des propriétés électrophysiologiques différentes.En général,une des voies présente une vitesse de conduction lente et une période réfractaire rapide et l'autre
une vitesse de conduction rapide et une période réfractaire lente. La survenue d'une extrasystole, qui est par définition un battement prématuré, peut dissocier ces 2 voies et enclencher une tachycardie dite par "réentrée".
Dans les tachycardies supraventriculaires, les complexes QRS sont le plus souvent fins et non déformés par rapport aux complexes de base,les ondes P sont souvent difficiles à isoler des complexes ventriculaires (Fig. 4).
Ces tachycardies sont traitables de façon radicale par ablation par radiofréquence (fréquences très basses qui permettent de chauffer et d'interrompre définitivement la voie accessoire).
Selon la localisation anatomique des 2 voies de conduction,on distingue plusieurs types de tachycardies supraventriculaires.
Dans les tachycardies du syndrome de Wolff-Parkinson-White, la voie de conduction normale est doublée d'une voie accessoire anormale.L'ECG est le plus souvent anormal (Fig.5) et caractérisé par une durée de l'intervalle PR courte (< 0,12 sec), une onde P positive et un empâtement plus ou moins net de la branche ascendante du complexe QRS (onde delta) ; il s'y associe un trouble secondaire de la repolarisation (onde T).On en rapproche les tachycardies paroxystiques sur syndrome du PR court
sans empâtement du complexe QRS. Ici aussi, la survenue d'extrasystoles supraventriculaires en bloquant la conduction de façon unidirectionnelle dans une voie crée des conditions électrophysiologiques de réentrée. Ces tachycardies,qui s'observent autant chez les hommes que chez les femmes, peuvent débuter dans la petite enfance. Vu le risque vital potentiel de ce syndrome, sa découverte impose toujours un avis cardiologique. Le traitement des formes à risque repose aussi sur l'ablation par radiofréquence qui, réalisée par des mains entraînées, présente des risques faibles. Les 2 voies de conduction peuvent siéger au voisinage du noeud auriculoventriculaire.
L'ECG de repos est alors normal. Le plus souvent, la tachycardie démarre et s'arrête sur une extrasystole supraventriculaire. Ces crises de tachycardie, qui touchent préférentiellement les femmes,surviennent initialement dans l'adolescence.
Une autre forme de tachycardie paroxystique, qui est due à une forme anatomique intermédiaire entre les 2 précédentes, s'observe aussi plus souvent chez les hommes et parfois à l'effort.
Le plus souvent lorsqu'on parle de maladie de Bouveret, il s'agit d'une de ces 2 dernières formes de tachycardie supraventriculaires.

TACHYCARDIES SUPRAVENTRICULAIRES


La clinique des tachycardies supraventriculaires type maladie de Bouveret prend en compte les données de l'interrogatoire, celles de l'examen physique et de l'ECG.

L'interrogatoire


Il révèle des données essentielles.
A l'inverse de la tachycardie sinusale,ces tachycardies sont caractérisées par un début et une fin brutaux. La fréquence de ces tachycardies, en particulier chez les jeunes,est souvent très rapide,de l'ordre de 180-220 bat/min. Lorsqu'elles surviennent au repos, elles sont en règle assez bien tolérées sur le plan clinique, et leur durée est variable.Elles s'arrêtent dans la très grande majorité des cas spontanément ou grâce à des manoeuvres bien connues des patients (manoeuvre de Valsalva avec expiration forcée à glotte fermée pendant 20-30 secondes, prise de boisson glacée, massage du sinus carotidien ou compression des globes oculaires). Ces manoeuvres ont toutes en commun de modifier la balance entre les tonus vagal et sympathique. Lorsqu'elles surviennent à l'effort (Fig. 4), elles se surajoutent alors à la tachycardie sinusale et peuvent atteindre des valeurs de fréquence cardiaque très élevée,(supérieures à 230-250 bat/min). Elles s'accompagnent alors d'une inadaptation hémodynamique, avec sensation "d'engorgement musculaire" imposant la diminution de l'intensité de l'exercice.Des malaises peuvent même être décrits.Les changements de rythme, comme lors d'une décélération après une côte ou une accélération, peuvent favoriser leur déclenchement.Dans ces cas, le rôle du "coup de frein vagal" souvent majeur chez les sportifs serait le facteur facilitant.

L'examen physique


L'examen physique intercritique est pauvre.Si,par chance,il est réalisé sur le "terrain" lors de la crise, l'auscultation cardiaque doit être associée à la prise simultanée du pouls. En cas de tachycardie
ventriculaire, le coeur est rapide mais régulier à l'auscultation alors que le pouls est irrégulier, ce qui traduit la dissociation entre les oreillettes et les ventricules.
En cas de tachycardie supraventriculaire, le pouls est régulier, la fréquence est très élevée rendant parfois difficile son décompte précis.La classique polyurie per-critique est en fait assez rare.
Un arrêt des crises par stimulation vagale est en faveur d'une tachycardie jonctionnelle, avec action du tonus parasympathique sur le noeud auriculoventriculaire.

Electrocardiogramme (ECG)


C'est l'ECG qui affirme le diagnostic étiologique.
Comme cela a été dit précédemment, il faut s'acharner à obtenir un tracé en cours de crise. L'idéal est d'enregistrer de longues bandes de dérivations où l'onde P est bien visible comme D2 et/ou V1, ce qui aide à distinguer les tachycardies ventriculaires des supraventriculaires. En effet, le diagnostic différentiel concerne essentiellement les tachycardies ventriculaires qui, surtout si elles surviennent sur un coeur pathologique, contre-indiquent dans l'immense majorité des cas la compétition sportive.

Traitement


Le traitement actuel des tachycardies supraventriculaires de type maladie de Bouveret, en particulier chez le sportif, repose sur l'ablation par radio-fréquence. Sa technique et les risques rares qu'elle présente lorsqu'elle est réalisée par des mains entraînées doivent toujours être parfaitement expliqués au patient.Il faut cependant rappeler que ces tachycardies sont,le plus souvent,bénignes et que l'indication de ce geste doit résulter d'une réflexion commune associant le patient et éventuellement sa famille, son médecin et le cardiologue.Seront pris en considération, la fréquence et la durée des crises, leur retentissement sur la performance sportive, le désir du patient et l'avis du cardiologue sur le risque éventuel lié à la localisation anatomique de la voie surnuméraire.Au décours de ce geste, la reprise de l'activité sportive y compris en compétition est rapide (une semaine en règle).
Un bilan cardiologique de contrôle est en règle réalisé 4 à 6 mois après le traitement. Les autres alternatives sont l'abstention thérapeutique,avec parfois un risque de limitation de la performance et on se souvient de ce champion de France de natation qui a dû s'abstenir de participer à quelques finales lorsqu'une crise le "clouait" sur le plot de départ. Les thérapeutiques médicamenteuses reposent sur les antiarythmiques. Le choix de la classe sera fait par le cardiologue en fonction des données électrophysiologiques de la tachycardie.

CONCLUSION


Ainsi, le terme de maladie de Bouveret concerne toutes les tachycardies paroxystiques sur coeur "sain". Si elles se prolongent,elles peuvent devenir graves.
Le diagnostic étiologique précis est important, d'une part pour éliminer une autre cause de tachycardie et, d'autre part, pour pouvoir proposer un traitement radical qui autorisera le sportif à poursuivre sa carrière de compétiteur sans aucune restriction.

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